achat-logistique.info : Quel est le poids le secteur sanitaire et médico-social en restauration collective sous contrat et quelle est la tendance en matière d’externalisation ?
Philippe Pont-Nourat : « Les secteurs de la santé et du médico-social pèsent 50 % du marché de la restauration collective dans son ensemble. La sous-traitance atteint 30 %, proportion plutôt stable, mais avec des disparités puisqu’elle est de 18 % dans les hôpitaux publics contre 65 % dans les cliniques privées.
Si l’on regarde les choses de manière prospective, on prévoit des croissances assez différentes, avec un secteur personnes âgées à fort potentiel. Côté sanitaire, nous n’avons toujours pas renoué avec l’activité ante Covid, principalement parce que les établissements n’ont pas retrouvé leur rythme d’activité, en raison de la fermeture de lits ou du raccourcissement des durées d’hospitalisation… Cependant, cela reste un secteur important pour nos adhérents. »
achat-logistique.info : Au regard des difficultés que la restauration connaît depuis quelques années (augmentation du coût des denrées, manque de personnel…), le secteur sanitaire et médico-social présente-t-il des spécificités ?
Philippe Pont-Nourat : « Il se caractérise déjà par une pluralité de prestations liée à une diversité de convives assez exceptionnelle : patients en court séjour, maternité, psychiatrie, résidents d’EHPAD, personnel hospitalier, parfois un internat… Le tout dans un seul et même contrat. Et donc une diversité de menus, de recettes et de modes de distribution – en service, au plateau, en salle – que l’on a assez peu dans les autres secteurs d’activité. Cela exige une collaboration importante avec les équipes soignantes et diététiques des établissements.
Par ailleurs, la problématique du recrutement y est la plus forte avec un phénomène marqué d’absentéisme des collaborateurs, 10 jours de plus par an par rapport aux autres secteurs, ce qui entraîne un turn-over lui aussi important, de 4 à 5 points supérieur. Plus il y a d’absents, plus les présents sont en effet obligés de compenser, ce qui dégrade les conditions de travail, augmente la charge mentale et pousse à rechercher un autre environnement. Dans un EHPAD, la moyenne de nos effectifs se situe à quatre collaborateurs. S’il en manque un, vous perdez 25 % de l’équipe… »
achat-logistique.info : Ce secteur souffre-t-il aussi d’une image dégradée expliquant son manque d’attractivité ?
Philippe Pont-Nourat : « Paradoxalement, le secteur de la santé est, au contraire, celui où les personnels sont le plus attachés à la mission qu’on leur confie. Nous avons pu l’observer pendant la pandémie. Nos équipes se sont senties d’une utilité exceptionnelle, apportant alors aussi un lien social que les familles ne pouvaient plus proposer.
Si certains entrent peut-être dans ce secteur par hasard, ce n’est ainsi jamais fortuitement qu’ils y restent. Par une prestation alimentaire adaptée, prendre soin quotidiennement des troubles de santé ou liés au vieillissement comme au handicap est une vocation que l’on embrasse. Par notre activité, et en toute humilité, nous savons que nous « restaurons » aussi au sens où nous rétablissons. Je me rappelle avoir, un jour, croisé dans un hôpital un plongeur chargé de nettoyer les batteries qui m’a dit : je lutte contre les maladies nosocomiales… »
achat-logistique.info : Existe-t-il une problématique particulière côté budgétaire ?
Philippe Pont-Nourat : « Oui et c’est un autre paradoxe. On a sans doute ici les budgets les plus contraints pour les prestations les plus complexes. Et nous le constatons partout, aussi bien à l’hôpital que dans le médico-social, public ou privé. Ces deux dernières années, les dotations données aux établissements sont insuffisantes par rapport à la hausse des lignes de coûts : l’augmentation des salaires, au niveau de la branche, de quasiment 12 % en 18 mois ; celui des matières premières, avec des pics jusqu’à +25 % ; ou de l’énergie dont la facture a été parfois triplée.
Nos clients eux-mêmes regrettent un financement pas toujours à hauteur de cette flambée côté tutelle. Mais même en excluant ce contexte inflationniste, faire – dans le secteur médico-social – un petit-déjeuner, un repas du midi, une collation et le repas du soir avec 4,70 euros de denrées alimentaires relève presque plus de la magie que d’un savoir-faire…
Considérer les repas exclusivement comme un centre de coût n’est pas à la hauteur de ce qu’ils peuvent apporter. Et c’est en décalage par rapport aux objectifs politiques fixés par la loi Egalim. Aujourd’hui, les hôpitaux publics doivent se trouver à 6 % au lieu des 50 % de produits de qualité attendus, les EHPAD à 5 %. Pourtant, quand on améliore la qualité du repas et du service, on réduit la dénutrition et on a donc moins besoin de compléments nutritionnels, ce qui génère une économie sur le budget de la pharmacie. Mais celle-ci n’est jamais reportée sur la restauration pour lui donner les moyens de continuer à vouloir améliorer les choses. »
achat-logistique.info : Les marchés passés par les hôpitaux correspondent-ils à ce que vos adhérents attendent ? Existe-t-il des choses qui les font bondir de leurs chaises ?
Philippe Pont-Nourat : « Il existe une grande diversité des formes de consultation, c’est-à-dire de périmètres que les hôpitaux sont prêts à confier : approvisionnement de denrées alimentaires avec assistance technique, gestion complète, préparation sur place lorsque l’établissement dispose d’une cuisine, livraison de repas, parfois de l’assemblage sur place… C’est intéressant parce que nous ne sommes pas cantonnés à un seul modèle d’intervention.
Mais les cahiers des charges demeurent toujours trop dans un schéma de copier/coller. La phase de sourcing n’a pas été encore parfaitement appréhendée par les donneurs d’ordres, lesquels se privent ainsi d’innovations que l’on pourrait apporter. Il faudrait aussi laisser la possibilité aux entreprises de pouvoir proposer des variantes et trouver des sources de productivité. »
achat-logistique.info : Quelles sont ces innovations ?
Philippe Pont-Nourat : « Elles portent sur la liberté de choix des repas, levier de lutte anti-gaspillage, et la manière dont la commande peut être faite par le convive pour la rapprocher du moment de sa consommation. Autre enjeu : celui de végétaliser le plus possible les assiettes, avec de l’innovation dans les recettes et menus. Il y a enfin le volet du service. Dans beaucoup d’endroits, la distribution des repas est assurée par des tiers. La connexion qu’ils ont avec la cuisine est l’un des maillons que l’on doit encore renforcer. »
achat-logistique.info : AGEC, EGAlim… Toutes ces législations impliquent des modifications de pratiques, voire de matériels qui nécessitent des investissements. Comment les opérateurs travaillant sur ce champ s’engagent-ils sur ces nouveaux objectifs ?
Philippe Pont-Nourat : « Le premier investissement est plutôt dans les produits et la manière dont on les valorise, ainsi que la formation. Il serait scandaleux d’acheter des produits de grande qualité et de ne pas améliorer leur mise en œuvre. Le deuxième, c’est la fin du plastique, mode dominant de conditionnement à l’hôpital. Passer en porcelaine ou en inox représente un budget supplémentaire mais aussi une évolution des conditions de production (matériels, plonge, ressources humaines) ; ce n’est donc pas qu’une question d’argent.
Certains chiffres circulent dans la presse : 20 % de renchérissement du prix. Cela me semble un peu excessif, car tout dépend du point de départ. Néanmoins, une question se pose : si déjà le premier budget nécessaire, ne serait-ce que pour pouvoir supporter l’inflation, n’a pas pu être alloué et si le deuxième, impératif pour porter la loi Egalim, ne peut être attribué, quel arbitrage sera donc fait pour un 3e investissement autour du conditionnement ?
Nous sommes capables de pouvoir faire, mais dans des installations qui sont très rarement les nôtres. Ce sont nos clients qui donnent l’ambition et le rythme. Nous pouvons les conseiller mais les choix organisationnels leur appartiennent. »
achat-logistique.info : Quelles pistes le SNRC propose-t-il donc pour dépasser ces obstacles ?
Philippe Pont-Nourat : « Nous préconisons de ne pas se focaliser uniquement sur la matière première mais d’examiner le coût global du service de restauration dans un établissement et de regarder toutes les lignes qui structurent la délivrance du service, des salaires aux frais de gestion en passant par les équipements, leur maintenance et les infrastructures bâtimentaires. Afin d’identifier les leviers qui financeront la montée en gamme que nous appelons tous de nos vœux.
Il faut aussi analyser le processus de création du service, la façon dont sont passées les commandes, reconsidérer la chaîne de commandement pour la rendre la plus efficace possible. Là aussi, nos sociétés travaillent sur le sujet. Enfin, nous allons faire des propositions à Bercy à la fin du mois de septembre, visant à définir des formules de révision qui évitent les effets rencontrés lors de l’inflation, avec des indices INSEE décalés, sans commune mesure avec la réalité des augmentations. »